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Les chroniques de l'Extime
22 mars 2013

Le 7 mars 2013

 

La première impression que j'ai du jeune auteur à succès est son sourire, son air surpris derrière la porte du taxi.

On m'avait prévenue, je l'avais vu moi même en photo, mais cela me frappe malgré tout, et surtout malgré moi : le jeune auteur est beau, très beau.

Mais il paraît fatigué, mélancolique même.

Pas très à l'aise dans son beau physique. Il donne un peu l'impression qu'il ne sait pas quoi faire de lui-même. Je crois qu'il aimerait s'allonger là, sur le sol, et dormir.

Mais il va devoir pour la cent vingtième fois depuis six mois, s'asseoir devant les caméras, sourire, parler de son roman, se préparer aux éloges et aux critiques et forcément, par là, donner foi à son succès, répondre de la qualité littéraire de son livre.

 

Le jeune auteur ne s'attendait pas à cette notoriété soudaine, cette déferlante de voyages, de rencontres, d'interviews.

Il est excessivement bien élevé alors il joue le jeu et sourit.

 

Pris en flagrant délit de fatigue, il s'affale légèrement sur son siège, et s'excuse quand on le lui fait remarquer.

Il tâte à son bras un bracelet en corde ; l'enlève, le dénoue, le remet et avoue d'un air gêné qu'on le lui a offert (quelqu'un qu'il vient de rencontrer/quitter à Tel Aviv? Ou ailleurs?). En fin de compte, il le garde.

 

Je pense à ce que l'on vient de me chuchoter un peu plus tôt : qu'il a parlé de ses voyages; de la solitude des chambres d'hôtel.

Je n'ai pas envie de le malmener , d'autant que je l'ai vraiment aimé, au fond, son bouquin, mais la brièveté de l'interview fait que je ne sais pas aller au bout de ma pensée, au bout de mes questions, que je bute sur les limites des mots ; je voulais lui demander quel sens aurait eu sa vie sans l'écriture ; lui dire que j'étais passablement fâchée contre ceux qui ont dit de son roman que c'était une pâle copie d'un grand romancier américain car je suis la preuve vivante que l'on peut aimer un grand romancier américain et aussi un jeune auteur à succès, que je ne suis pas du genre à bouder mon plaisir, que je déteste cette façon de classer les choses dans la grande ou la petite littérature.

Quand la rencontre se termine, j'ai l'impression un peu confuse d'avoir pris trop de place, parlé trop fort, trop vite ; de ne pas avoir dit ce qu'il fallait dire.

 

Or, il se lève; puis très soudainement dit qu'il s'en va, me colle deux bises dont l'une cogne un peu. Je pense furtivement à la manière très contemporaine dont le temps est fragmenté, et dont la pensée et la parole, par conséquent, le sont aussi. Et de la frustration que cela engendre chez moi.

 

J'ai envie de le serrer dans mes bras pour le rassurer, le consoler un peu et lui dire que tout ira bien. Mais cela ne se fait pas : les circonstances, la bienséance, ses autres obligations immédiates, ma pudeur, le respect de la forme voire d'un certain 'protocole' aussi, font que je m'en abstiens.

Il me touche terriblement, mais cela 'ne se montre pas'.

 

Je pense à l'inviter chez moi, lui faire la cuisine et le mettre à table avec mon compagnon et mes enfants.

 

Le jeune auteur à succès est né le 16 juin 1985 ; moi le 15 juin 1975. Dix ans tout juste nous séparent.

A 27 ans, le soir, à Bruxelles, j'allais au théâtre, boire des verres jusqu'à pas d'heure dans les bars, refaire le monde avec mes amis.

Je pense à tout cela quand je le regarde déplacer son beau physique un peu maladroit pour aller récupérer bravement sa grosse valise. Je pense que 27 ans, c'est bien jeune pour passer sa soirée dans une ville inconnue, signer des dédicaces et rentrer seul dans sa chambre d'hôtel.

 

Le lendemain, la partie midinette de moi-même regrettera de ne lui pas avoir fait dédicacer son livre.

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